Culture
La lecture a maille à partir
On lit moins. C’est un fait que les chiffres confirment, mais que l’on devine déjà dans les gestes du quotidien : les livres s’ouvrent plus rarement, les phrases longues fatiguent, la pensée s’essouffle. La lecture, autrefois refuge, compagne ou moteur, semble glisser hors de nos vies au profit d’un présent qui exige rapidité, immédiateté et distraction. Ce recul n’est pas sans conséquence. Lire, c’est plonger dans la lenteur, accepter la complexité, apprivoiser la nuance. Renoncer à cette plongée, c’est renoncer à une part de ce qui façonne l’esprit.
On dit parfois que la lecture rend plus intelligent. C’est vrai, mais réducteur. Le livre n’est pas seulement un cultivateur de savoirs ; il est un instrument d’aiguisement mental. Il développe la mémoire, nourrit l’imaginaire, muscle la capacité d’attention. Mais surtout, il offre une profondeur que le rythme fragmenté du monde numérique peine à offrir. À mesure que l’on lit moins, la pensée se fait moins précise, moins patiente, moins résistante. Le cerveau, privé d’exercice, se contente de sauts rapides d’information plutôt que de chemins longs et exigeants.
La perte la plus spectaculaire, pourtant, n’est pas intellectuelle mais humaine. La fiction, cette grande école de l’empathie, disparaît peu à peu des pratiques ordinaires. Lire un roman, ce n’est pas seulement suivre une intrigue : c’est entrer dans des consciences étrangères, éprouver des émotions qui ne sont pas les nôtres, comprendre des façons d’habiter le monde. Lorsque la fiction se raréfie, la capacité à ressentir, à imaginer l’autre, s’étiole. On s’enferme dans son propre prisme, dans sa propre expérience. Une société qui lit moins est une société qui se comprend moins.
Ce déclin est d’autant plus préoccupant que la lecture demeure un outil d’élévation sociale, particulièrement dans les contextes où l’école a encore à lutter pour s’imposer comme lieu d’équité. Le livre ouvre des portes que rien ne peut remplacer : portes vers la langue, vers l’analyse, vers la culture, vers les mondes auxquels l’on n’aurait jamais accès autrement. Lorsque la lecture recule, ce ne sont pas seulement des individus qui perdent un appui : c’est tout un tissu social qui s’appauvrit, qui se prive d’un ferment essentiel de mobilité et d’émancipation.
Mais rien n’est irréversible. On ne lit peut-être plus comme avant, mais on peut réapprendre à lire autrement. Il suffit parfois d’un livre offert, d’une bibliothèque ouverte, d’un club de lecture improvisé, d’une voix qui raconte. La lecture n’est pas morte : elle attend qu’on la rappelle, qu’on la réinvite, qu’on lui redonne un espace dans nos vies encombrées. Le livre continue de dire le monde mais c’est à nous de choisir si nous voulons encore l’entendre.
Par : La Rédaction